• La Croisière

     

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    La Croisière



    J'entends des « au revoir » qui fusent de part et d'autres de cet immense paquebot. Dans tout ce vacarme, je ne perçois plus les cris des oiseaux de mer qui tournent au dessus de nous pour récupérer ne serait-ce que quelques miettes de biscuits secs qui traîneraient sur le pont, piétinés par les croisiéristes insouciants, euphoriques et pressés de connaître leur suite pour certains, et pour d'autres: leur cabine moins luxueuses que pour les richissimes passagers des premières classes; mais confortable à souhait. Peut importait qu'ils soient de première ou de seconde classe! Le principale pour eux était de se trouver sur ce superbe paquebot en partance à destination des îles Bahamas pour une duré de quinze jours .

    Il ne devait rester que les personnes en partance pour une croisière de bonheur et de rêve. Il était difficile de respecter l'heure de départ et
    l
    e bastingage était encore noyé de monde. Par centaines, des mains s’agitaient en tout sens, lançant des rubans et des confettis comme pour signifier leur joie à la pensée de l’heureux voyage qui allait commencer à partir du moment où le paquebot finirait par s’ébranler et s'éloigner doucement du bort des quais. Les remorqueurs étaient prêts à faire leur manœuvre n'attendant plus qu'un ordre du commandant du "Queen Élisabeth II" . Tout était en place pour aider l’énorme masse à s’éloigner du bord et prendre la direction de son périple à travers les possibles caprices de l'océan; mais je ne veux pas y penser tout à mon bonheur d'avoir, à l'issu de ce concours, été sélectionné.


    A bâbord comme à tribord, les ponts promenade commencent enfin à se vider de leurs visiteurs et croisiéristes: il ne reste plus, sur le quai de départ, que quelques groupes d'attardés fascinés par ce grand, paquebot s'écartant lentement du bord du quai pour entamer sa manœuvre d'éloignement, ce qui n'intéressait guère de monde sur le transatlantique, chacun ayant prit connaissance de son numéro de cabine et de suite pour s'y rendre et prendre possession des lieux avec contentement... Après m'être attardé, moi aussi, quelque peu sur l'un des ponts promenade pour admirer la dextérité des remorqueurs à guider cet immense bâtiment flottant.Fatigué, je décide de faire comme tout les croisiéristes: Je vais aller prendre connaissance de mes appartements et m’installer confortablement dans ce qui sera ma cabine pour seize jours. J’ai gagné le prix principal de ce voyage et pour une fois que je suis en première classe, je tiens à en profiter. Ce prix tant convoité par nombre de participants mentionnait un ou une accompagnante autorisé. J’étais seul et cela ne me gênait guère. Que m’importait que je sois accompagné ou solitaire? J’avais gagné cette croisière et dans vingt quatre heures ce bateau n'aurait, pour moi, plus aucun secret.

    Pendant les trois mois qui précédèrent le jour «J» de cette fameuse croisière, ma vie fut un enfer: enfin! Façon de parler! Je comptais les semaines qui me séparaient de l’embarquement. J’achetais avec frénésie de nouveaux vêtements. Je me rhabillais de la tête au pieds, sans oublier d'acheter des baguages. Tout était neuf! Il m'était également venu à l'idée de faire l'acquisition d'un smoking pour les grandes occasions et jusqu'aux chaussures de cuir de marque italienne que j'avais fais mettre sous forme afin de ne pas souffrir des pieds pendant la croisière: ce qui aurait pour effet de me gâcher mon voyage.Je faisais et défaisais mes valises car il me semblait toujours avoir oublié quelque chose d'important.Tous les frais inhérents à ce voyage étant offerts, pour quelle raison est-ce que je m'en faisais à l’avance? J’avais tout prévu: les traveller's chèques, mes cartes de crédit de peur de manquer d'argent liquide pour une raison x ou y etc. Sans que je veuille me l'avouer, je partais pour vivre une aventure digne des plus belles histoires qu'un homme pouvait vivre sur un paquebot de légende et trouver la femme de ses rêves…

    Enfin, nous voilà en route pour les Bahamas! Le paquebot glisse dans une toute relative sécurité sur cet océan, cause de tant de faits divers vous donnant froid dans le dos rien que d'y penser. Je refrène donc la moindre idée de naufrage ou d'un quelconque cataclysme qui pourrait survenir à l'improviste pour gâcher cette croisière qui s'annonce idyllique et pleine de promesses...
    Tout en réfléchissant sur mon aventure à venir,
    mon instinct me disait (et je voulais y croire) que ce voyage allait se passer le mieux du monde. L'envie me prit de respirer profondément l'air du large, ce qui me fît du bien. Je me sentais euphorique, moi aussi, de vivre ce rêve tout éveillé.

    Le "Queen Elizabeth II" a prit le large depuis plus de deux heures. Il fait nuit depuis une bonne demi-heure et sous un ciel magnifiquement étoilé, je reste là, plongé dans mes pensées, à profiter de l'air marin qui emplit mes poumons d’iode. A la proue, appuyé sur le bastingage, face à l'immensité de l'océan, sous l'étrave du paquebot, je me surprends à imaginer, les profondeurs abyssales que constitue cette vaste étendue d'eau salée, ces abîmes mystérieux et inhospitaliers qui vous font froid dans le dos lorsque l‘on prend le temps de se représenter ces insondables fonds marins.
    Je suis tiré de mes pensées par un saxo qui se plaint. De la salle de réception, la musique me parvient. Ces dames doivent être belles ce soir? Je les imagine, évoluant sur des rythmes langoureux ou endiablés, se laissant griser par la musique au fur et à mesure que la soirée avance. Cette ambiance de fête, sans doute, régnera je le suppose jusqu'au petit matin. Je n’ai pas encore sommeil. Je veux profiter de tous ces instants qui me sont offerts. Et si j’allais faire un tour dans la sale des festivités? En plus, les odeurs de cuisine qui me parviennent, flattent mon appétit. Et puis, qui peut savoir? Peut-être aurais-je le bonheur d’y faire une heureuse rencontre?…


    A mon entée, le dîner dansant bat son plein. J’aperçois à une table une jeune femme blonde, très jolie qui a l’air de s’ennuyer. Est-elle seule?
    Semblant perdue dans ses pensées, elle ne s'aperçoit pas que je m’approche d’elle pour l’inviter à danser. Les musiciens jouent un slow et c’est là toutes mes connaissances en matière de danse. Elle lève deux beaux yeux verts dans ma direction, hésite un instant avant de répondre à mon invitation puis elle se lève avec grâce me tendant sa main. Ce n’est pas que je cherche à tout prix quelques jolies jeunes femmes pour meubler ma solitude; mais la croisière serait quand même plus agréable si j’avais une compagne pour le temps du voyage: unir deux solitudes, ce n'est quand même pas si mal!...


    La première soirée fut délicieuse. Morgane: C'est son prénom, et moi, nous ne nous sommes pas quittés de toute la nuit. Au petit matin, à l’instant où l'aurore commence à vouloir pointez son nez et que la nuit s’éclaircit, accoudés au bastingage, nous croisons quelques attardés ivres de bons vins, de danse et de sommeil. Ils vont vraisemblablement aller se coucher, à moins qu'ils ne fassent comme nous et traînent encore un peu sous les étoiles. Je regardais ma montre qui marquait quatre heures du matin. Morgane et moi décidâmes d'être un peu raisonnables afin d'être en forme pour la journée qui allait suivre cette première nuit féerique. Je la raccompagnais à sa porte de cabine qui portait le numéro 77. Je lui fît remarquer que ma suite portait le numéro 177. Elle sourit et nous nous dîmes bonsoir à regret. On aurait dit deux timides jeunes gens (ce que nous étions en fin de compte) plantés là, devant sa porte, comme hypnotisés par le regard de l’autre. J’avais envie de forcer un peu sa retenue. Je me risquait, quitte à me prendre une gifle, à lui donner un léger baiser sur ses lèvres closes. Elle ne fit pas le geste tant redouté; mais me fît comprendre qu’elle n’était pas loin de tomber littéralement de sommeil et que l’on avait tout le temps de faire plus ample connaissance après un repos raisonnable, bien mérité, et réparateur.
    (N
    ous connaître mieux tout en prenant son temps serait plus agréable que de précipiter les choses), pensais-je. En gentleman, je n’insistais pas et à mon tour je décidais d’aller me coucher bien sagement; mais à regret, quand même...

    Le calme régnait dans les couloirs. Mes pas que je voulais feutrés glissaient sur la moquette qui me conduisait non pas à ma cabine; mais à ma suite: une suite magnifiquement agencée ou tout était parfait. Je trouvais ma suite princière à mon goût. De plus, elle portait la même fin de numéro que la cabine de Morgane. C'était inespéré! Était-ce un présage? Ça m’intriguait. Malgré mon envie de m’enfoncer dans un sommeil bienfaisant, les terminaisons de nos numéros de cabines dansaient devant mes yeux et ne me laissaient aucun répit. Je dû mettre un bon quart d'heure, peut-être plus, avant que mes paupières ne décident de se fermer sur cette question lancinante: pourquoi nos deux cabines se terminaient-elles par 77. Était-ce un signe du destin?...

    Tout semblait plongé dans un irréel endormissement salutaire pour les fêtards dont nous avions fait partie le temps d'une soirée sur ce magnifique paquebot. Pendant que la nuit s’étalait dans toute sa splendeur et que la voix lactée illuminait le ciel éclairant ainsi la nappe d'huile océane d'un noir profond, le paquebot continuait de tracer sa route emportant avec lui mon doux rêves d'amour et la croisière endormit...

    Je me levais tard dans la matinée. Je m'appliquais à choisir une tenue adéquate pour la circonstance tout en me me remémorant la soirée de la veille. Il n’était pas loin de midi quant enfin, frais et dispos, j’entrepris de retrouver ma belle inconnue. Elle était là, toujours seule, en maillot de bain, sirotant un grand verre d’orangeade avec de la glace pilée et une paille. Je m’approchais ne sachant quelle attitude adopter. Elle fît s’envoler mon embarras en me faisant un signe de la main que je m’empressais de prendre pour une invitation. La chaise longue à côté de la sienne étant inoccupée, J’en pris possession. Très aimablement, elle me posa une question:
    - « Bonjour Cher ami! Avez-vous petit déjeuné? Gêné, je répondis que m'étant levé trop tard, j'avais loupé ce «petit déjeuné» qui avait dû être à la hauteur de ses espérances et qu'elle ne devait pas se préoccuper de ma personne, que je ne déjeunais pas le matin: - « Je prends juste un grand jus de fruit comme vous et un café bien serré. D’ailleurs, je vois le garçon qui passe autour des baigneurs. Je vais lui faire signe: - « S’il vous plaît! Pouvez-vous m’apporter un café bien fort et un jus de fruit comme mademoiselle? Fis-je en lui désignant le grand verre d’orangeade que Morgane sirotait avec délice et qu'elle n’avait pas encore terminé. Tout en discutant de tout et de rien, nous entreprîmes de nous connaître mieux puis, vers 13 heures, nous nous dirigeâmes vers l’immense et somptueuse salle à manger. Nous choisîmes une table à deux couverts disposée un peu à l’écart. Un rideau de verdure nous isolait des regards indiscrets. Nous voulions être tranquilles pour bavarder de tout et de rien. Le décor rouge profond des tentures parfaitement en accord avec les nappes de même couleur, protégées elles-mêmes par des sur- nappes blanches damassées, une vaisselle de fine porcelaine également blanche agrémentée d’un liseré d’or, des verres de cristal ciselés ainsi que des couverts en argent massif, finissaient de donner une touche royale à cet endroit prestigieux. Il n'y avait rien à redire: La salle à mangée était splendide comme les cabines et toutes les dépendances, d’ailleurs. La réputation de ce paquebot correspondait bien à l'idée que je m'en était fait lors d'un reportage à la télévision. Nous goûtâmes à tous les mets rares que l’on nous présenta. Le déjeuner se déroula comme dans un rêve et je sentais confusément que nous, nous plaisions. J’osais poser ma main sur celle de Morgane qui, malgré une légère crispation, hésita une fraction de secondes, mais ne la retira pas. Le vin et l'ambiance aidant, Morgane s’était un peu libérée de sa réserve et m'apprit qu'elle aussi se trouvait là parce qu’elle avait gagné un prix sur ce même transatlantique qui m'avait amené ici pour une une croisière aux Bahamas. Cela lui importait peu au départ d'être seule; mais la croisière l’intéressait, sachant qu’elle ne pourrait jamais se payer cette folie. Lorsqu'elle s'était rendu compte du confort des deuxièmes classes! Elle s'était dis que sut été vraiment dommage si elle avait refuser un tel prix! Comme moi, elle ne connaissait personne pour l’accompagner; mais elle avait besoin de se changer les idées et puis, il ne faut jamais laisser passer une si belle occasion qu'un voyage comme celui-ci pouvait lui offrir! Qui sait si, dans toute une vie, une telle opportunité pourrait se reproduire? C'était une aubaine à ne pas laisser passer.

    Nous restâmes tout l’après-midi ensembles. Je lui confiais la raison pour laquelle, moi aussi, j’étais non accompagné. Nous rimes des points communs de nos aventures respectives. Ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait gagner une croisière de quinze jours aux Bahamas! Le courant passait très bien entre nous et nous nous primes à nous tutoyer. Je la sentait très détendue et je l’étais aussi. Aux alentours de 17 heures, je proposais à Morgane de venir dans ma cabine en tout bien, tout honneur, partager une fraîche coupe de champagne millésimée. Celle-ci, sur ma commande, baignait dans son seau de glace pilée, accompagné d’une collation offerte par la croisière: le tout disposé sur un plateau d’argent. Des vases garnis de fleurs disséminés un peu partout dans ma suite embaumaient. Ce paquebot avait pour moi des égards dignes d'un prince, me dis-je. Je me réjouis à l'idée que cette croisière qui n’en était encore qu’à ces premières vingt quatre heures), se prolongea encore quinze jours. C'était le temps qu'il me fallait pour apprivoiser tout à fait Morgane. Était-ce elle qui m’était destiné? La jeune femme que j’attendais?…

    Ces deux semaines de félicité ont défilés comme dans un songe. Le voyage va se terminer par un somptueux dîner dansant; mais cette fois, c'est un bal costumé qui va clôturer la croisière. Que de beaux souvenirs nous emportons dans nos bagages de retour! Un véritable voyage de noce sans les noces en quelques sortes...

    Le paquebot est sur le chemin du retour. Il a reprit sa route pour amarrer de nouveau à son port d’attache. Je suis triste car mon amour de vacances va prendre fin lui aussi à la descente de ce magnifique navire. Je n'ose demander à Morgane si nous allons nous revoir. Va t-elle emporter avec elle mon rêve? Nous avons évolué tous deux, comblé de bonheur, comme dans un conte de fée. Nous avons profité pleinement des plages de sable fin, des splendides paysages enchantés à jamais gravés dans nos mémoires que je ne regretterais jamais d'avoir vu en compagnie de Morgane qui su rendre à elle seule cette aventure romanesque et inoubliable. Ne voulant rien perdre de ce qui constituait nos derniers ébats, nos derniers échanges sur ce navire magnifique, nous les passâmes dans ma suite à nous aimer éperdument. A présent, il est temps de nous réveiller et de retourner à la réalité. Dans quelques instants, il ne restera plus de nous que des souvenirs...

    Le "Queen" est à quai. Les passagers empruntent les passerelles pour en descendre. Nous en faisons autant. La fin d'après-midi est superbe! Le cri des mouettes m’agace. Tout m'agace et ce monde qui s’interpelle m'est indifférent! Quel vacarme! Je n’en peux plus! Nous allons essayer de nous dire adieu dignement. La séparation après ces seize jours de doux rapprochements consentants, est très dure! La cabine de Morgane, sauf la première nuit, est restée inoccupée pendant toute la croisière. Nos baisers échangés, nos serments, nos journées et nos nuits ne furent qu'à nous...

    Débordant d'amour intériorisé, Je prends Morgane dans mes bras pour un adieu qui se veut léger et désinvolte. Nous sommes amis, amoureux: du moins, pour ma part et je n'en doute pas. Nous comptons bien nous revoir; mais j’ai mal, si mal! Souffre t-elle autant que moi de cette séparation?
    Mes yeux fouillent les siens embués de larmes; mais elle ne dit rien, n’esquisse aucun geste pour me retenir. Je ne veux pas qu’elle sache ma peine et mon attachement pour elle. Un instant nos vies se sont croisées dans le bonheur et la félicité. Cet amour naissant a prit de l’importance tout au long de ce voyage et nous voilà sur le quai des «au revoir», pas du tout comme au départ de la croisière. Une dernière étreinte et nous, nous séparons sans nous retourner. C'est trop dur! Sur le quai, un dernier signe de la mains avant de me retourner marque le mot fin à notre histoire. Je marche sans but apparent, comme absent de ma propre vie. Je presse le pas pour héler un taxi; mais pas un seul n’est libre! Mes nerfs sont à rude épreuve quand une main se glisse dans la mienne. Elle m'a suivit. Elle est là, devant moi, souriante. l’amour la transfigure. Je l’attire à moi et prend ses lèvres sans lui en demander la permission. Elle réponds à mon baiser et sa voix, comme dans un rêve, me murmure à l’oreille ces mots troublants que je n’attendais pas:
    - « Je t’aime mon amour! Je ne peux vivre sans toi! Je ne veux plus te quitter! Je t’en supplie! Garde-moi auprès de toi!

    L'enchantement était à son comble. Comme dans un rêve tout éveillé, je lui murmurais des mots tendres et nos baisers scellèrent notre fougue et nos serments:
    - « Ô! Tu ne peux savoir quel bonheur est le mien en cet instant? Je ne voulais pas croire à la fin de notre idylle et je m'en allais le cœur brisé de te laisser sachant que, sans doute, nous ne nous reverrions peut-être jamais; mais maintenant que tu es là, que tu es venu vers moi, acceptes-tu de m’épouser? Dis-moi que tu le veux toi aussi?

    Le «oui» qu’elle prononça me fit comprendre que ma triste réalité d'homme seul s’en était allée discrètement, sur la pointe des pieds, pour laisser la place à un avenir radieux qui était, en un instant, devenu notre réalité pleine de joie et d’espérance en la vie.

     

    N. GHIS.

    Photo de La main et la plume.

    Texte écrit en 2003.

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